Henry James est un des écrivains les plus élégants qui soient, un styliste hors pair, un expert des âmes et des cœurs dont il a observé, avec une subtilité et une précision d’entomologiste, les méandres, les gouffres et les revirements au long de ses romans et récits.
Peu adepte des conclusions et jugements définitifs, que sa finesse récusait, ses livres « se terminent comme se terminent les épisodes de la vie » écrivait Conrad « avec la sensation que celle-ci avance encore ». Il laisse de la sorte ses lecteurs et ses lectrices, à l’instar de ses héros et héroïnes, en proie aux affres, incertitudes et variations de leur propre existence – les virtualités, les occasions manquées, les fameux « trop tard » jamesien…
Pourquoi parler d’Henry James en plein confinement, tandis que le soleil joue à l’été au-dessus de nos têtes et nous à l’hiver au fond de nos cachots ? Parce qu’il nous revient qu’il aimait classer les individus selon deux catégories, les « Once born » et les « Many times born ».
- Les premiers, les « Once born », sont tout un. Bloc. Monolithe. Continuum. TGV que nulle rupture de caténaire, nul déraillement ne guetteront jamais.
- Les seconds, les « Many times born », sont eux soumis à l’air du temps, aux signes des saisons, aux obstacles ou opportunités que la vie sème et sèmera sur leur chemin. Argile et agiles, ils changent, se transforment, se renient, se réinventent – Fregoli ou apostats c’est selon.
Il est légitime de se demander si la situation actuelle, qui impose à chacune et chacun un compagnonnage inédit avec soi-même, ne va pas faire grossir la troupe des « many times born ». Comment sortirons-nous du confinement, dans quel état d’esprit, fortes et forts de quelles résolutions, avides de quels changements ? Et dans quel état trouverons-nous le monde autour de nous, impatient de redémarrer, immobile ou brisé ?
« On ne sait jamais tout de rien » écrivait Henry James. Aujourd’hui, on a l’impression de ne rien savoir de rien. Pourtant, ce même rien doit nous inciter à songer dès maintenant « au(x) monde(s) d’après », « à ce que nous y ferons et comment nous le ferons », en bref « à nos renaissances ou à nos confirmations »…