Dans Le monde est clos et le désir infini, Daniel Cohen rappelle les travaux de Benjamin Friedman sur les conséquences morales de la croissance économique. Il n’est pas inutile de s’y replonger en ces temps de crise sanitaire et économique, toutes deux aussi spectaculaires qu’inédites.
En résumé, les grandes périodes progressistes de la vie américaine ont toujours été le fruit d’une croissance économique forte. À l’inverse, les dépressions économiques se sont toujours doublées de replis sociaux, qui ont entraîné l’émergence ou la résurgence de mouvements populistes, racistes (le Ku Klux Klan) ou conservateurs. Il en fut de même en France et en Europe (songeons à la montée irrépressible du nazisme en Allemagne dans les décombres du Krach de 1929).
Une exception toutefois, qui doit nourrir notre espérance de lendemains meilleurs (ils arrivent toujours, c’est un fait) : le New Deal porté par Roosevelt à compter de 1933.
La peur, la dépression, l’ennui ne rendent pas plus productifs. Au contraire. La perte de productivité des gens malheureux est estimée, selon plusieurs études, à plus de 10%. Les salariés heureux sont plus créatifs, plus coopératifs, plus entrepreneurs.
Comment sortirons-nous du confinement ? Pas forcément heureux au vu des bouleversements en cours, mais il sera (il est) du devoir des gouvernements, des entreprises et de nous toutes et tous, salarié.e.s, de nous représenter les conditions du rebond. De vies alternatives ou meilleures. De choix essentiels. D’exercices de volonté et de confiance.
Dans ces temps de confinement, confronté.e.s à nous-mêmes, il me semble que chacun et chacune d’entre nous a ressenti, à rebours de ce qui se dit des Français (pour lesquels le parti pris serait contre et non pour le travail), l’importance, le pouvoir et les rôles de ce dernier. Rôle social. Rôle intellectuel. Rôle de développement. Rôle de réalisation. L’activité partielle est une plaie : soudain, les journées se sont vidées. Soudain, les heures se sont allongées.
La Bruyère a offert à la France du XVIIème siècle un fascinant miroir ; nous nous y reflétons toujours. Il écrivait : « Il faut en France beaucoup de fermeté et une grande étendue d’esprit pour se passer des charges et des emplois et consentir ainsi à demeurer chez soi, et à ne rien y faire. Personne n’a assez de mérite pour jouer ce rôle avec dignité, ni assez de fond pour remplir le vide du temps. »
Le confinement, au fond, nous fait aimer ou ré-aimer le travail…