Ferdinand Von Schirach est un ancien très bon avocat, devenu un très grand écrivain.
Après Crimes et Coupables, Sanction est son troisième recueil de nouvelles. Elles sont toujours cliniques, elliptiques, saisissantes – comment des individus comme vous et moi peuvent-ils basculer dans l’innommable ? Au prix de quels hasards, malchance, accès de sang noir ? Ferdinand Von Schirach se garde de répondre : ses nouvelles, aussi belles qu’austères, sont pleines de silence ; elles nous parlent longtemps après qu’on les a finies.
Dans l’une d’entre elles, une jeune femme postule dans un grand cabinet d’avocats berlinois. Elle « subit » l’entretien du directeur administratif. Il est précis, méthodique, désagréable. Il lui pose des questions telles que :
- Qu’est-ce que vous n’échangeriez jamais contre de l’argent ?
- Quelle question ne souhaiteriez-vous pas que l’on vous pose ?
- Quelle est la plus grosse erreur que vous ayez commise ?
Seyma (c’est son prénom) est préparée. « Elle répond avec calme et courtoisie. Elle a beau trouver ça ridicule, elle n’en laisse rien paraître. »
Le Doyen du cabinet, « le Vieux », arrive sur ces entrefaites. L’atmosphère change du tout au tout. « Le Vieux » s’intéresse à elle, vraiment. Il l’écoute, vraiment. Il essaie de la comprendre, vraiment. Seyma devient plus naturelle, elle s’ouvre, se confie, elle oublie ce qu’elle avait préparé. Quand le Vieux lui demande pourquoi elle a choisi le droit, elle songe à ce qu’elle a répondu, un instant plus tôt, au directeur administratif (« elle a parlé de fondements de la société, de responsabilité, d’idéal humaniste et d’amour de la justice »). Elle répond : « Je ne veux plus jamais que quelqu’un décide de ma vie. Le droit doit me protéger. »
Seyma est embauchée.
Recruter, c’est ça, rien que ça au fond : écouter, comprendre, partager.