Peut-être faut-il dire les choses simplement : les autres nous manquent.
Entendons-nous : les autres, ce sont des collègues, ami.e.s, parent.e.s, candidat.e.s, client.e.s et aussi toutes sortes de personnes que nous croisions, en allant au bureau, en en revenant, sur les quais du métro, au pied d’un feu rouge, des personnes que nous ne connaissons pas mais que nous finissons par saluer à force de les croiser aux mêmes endroits, aux mêmes heures, qui sont entrées dans nos vies, comme ça, de manière furtive.
Bien sûr, il y a eu les outils de travail… et de famille (le mot marche-t-il aussi ?) à distance. Nous avons tous été heureux de voir les nôtres, des collègues et des candidat.e.s, via un écran, chez eux, avec un vrai ou un faux arrière-plan, parler, bouger, vivre. Au début, le plaisir était si vif, il élargissait les murs de nos salons et nous faisait accroire, l’espace d’une heure ou deux, que tout ceci n’était qu’un mauvais rêve, que nous allions nous réveiller pour les prendre dans nos bras ou leur serrer la main. Avec le temps, le plaisir est resté (oui, oui le plaisir est vraiment resté), mais il s’est atténué, dilué, toujours les mêmes décors, toujours la même immobilité, laissant place à une frustration grandissante – il nous fallait autre chose…
Depuis lundi, nous avons eu cette « autre chose »… et ça a été un vrai bonheur. Nous avons revu certaines personnes, collègues ou candidat.e.s, et même ces inconnu.e.s que nous croisions, avant – au bureau, dans la rue, sans attestation sur nos smartphones. Ce n’était pas de la 3D, ce n’était pas un nouveau miracle de la technologie : non, elles et ils étaient là, en chair et en os, nous les voyions pour de vrai, nous pouvions les… et puis non, nous ne pouvions pas les toucher, nous nous tenions un peu gauchement en face d’elles et d’eux, opérant des chorégraphies de distanciation maladroites – et même l’expérience de les voir s’est révélée comparable aux giboulées de mars, un coup soleil (sans masque), un autre pluie (avec…)… bref, il nous faudra encore autre chose…
Durant la période de confinement, nous avons lu, nous avons ralenti, nous avons réfléchi : en savons-nous plus sur nous-mêmes ? Il est permis d’en douter. Nous sommes le produit d’un arbitraire originel (le hasard des rencontres et des amours de nos aïeux) qui à la fois nous définit et nous échappe. Nous ne sommes ni stables, ni asssuré.e.s – variables tout au contraire, en chantier permanent, Dans notre construction, nous ne sommes rien sans les autres. Notre moi se bâtit, se développe, se renforce, s’épanouit au contact et à l’épreuve de l’autre. C’est vrai à l’intérieur de la famille, c’est vrai à l’école, c’est vrai avec nos ami.e.s, c’est vrai au travail. C’est pourquoi, les autres nous manquent – et que nous serons toujours prêts à faire plus de choses quand nous serons (un peu plus) près d’elles et eux…