la crise, c’est mieux après

la crise, c’est mieux après

 

C’est dans Garçon de quoi écrire, je crois. Jean d’Ormesson répond aux questions de François Sureau.

A une question « Aimez-vous la fête ? » Jean d’O avoue que « Non » et de poursuivre « j’aime la fête avant la fête, j’aime la fête après la fête, et Venise sans carnaval. »

Il est permis de remplacer le mot fête par le mot crise, et de songer que nous aimerons (peut-être) la crise après qu’elle sera passée. Quand nous danserons pieds nus sur ses cendres refroidies. Quand nous revivrons. Quand tout sera reparti.

Ce n’est pas demain la veille ? Non. De l’avenir, nul ne sait rien. L’avenir, c’est le 11 mai, c’est cet été, c’est demain : c’est en France, c’est en Europe, c’est dans le monde – et nous ne savons rien.

Beaucoup affirment beaucoup de choses, souvent de manière péremptoire : personne ne sait vraiment, ou alors rétrospectivement, et encore, même pas.

Ce que nous savons ? Que l’emploi souffre, qu’il souffrira demain et après-demain. Que l’avenir est difficile, mais il l’a toujours été, depuis Alexandre et Constantin jusqu’à hier, au 20ème siècle, qui fut si atroce.

Mesurons notre chance, celle de vivre en France, ce vieux pays dont nous nous plaignons tant, sans doute parce qu’il est très généreux avec nous.

Combattons la paresse intellectuelle, le défaitisme et la critiques faciles, l’indignation moutonnière.

Cultivons l’humilité, la pensée critique constructive, l’action solidaire – et l’espérance… à ce prix, c’est certain, ce sera beaucoup mieux après.

 

abcd’R  |  spécial confinement

abcd’R | spécial confinement

 

En cette période suspendue, où chacun retient son souffle, plus que jamais incertain des lendemains, nous avons choisi de déposer quelques notes d’humour sur nos jours de confinement.

Sous forme d’abécédaire, délimitant pour chaque mot un avant et un après, vous trouverez ci-dessous notre premier journal de bord estampillé Covid-19.

 

abcd’R – le confinement

 

Il se veut optimiste car comme le rappelle un proverbe anglais « après cette vie et la suivante, tous nos embêtements seront finis »

Bonne lecture,

haxio

 

le bonheur, c’est de sortir

le bonheur, c’est de sortir

 

On a déjà parlé ici de Blaise Pascal, qui a marqué la littérature française et qui la marque encore.

Il meurt jeune, à 39 ans, laissant dans ses poches les Pensées, somme si actuelle – fragments, flamboiement, fulgurances.

On le compare à Montaigne dont il est proche et lointain. Proche car il pense comme lui que l’homme est faible, incapable d’accéder à la vérité, à la nature, à soi-même – soyons directs : l’homme n’est pas grand-chose. Lointain car Montaigne sourit là où Pascal souffre.

Pascal est donc terriblement actuel. Relisons ceci : « Que l’homme revenu à soi considère ce qu’il est au prix de ce qui est, qu’il se regarde comme ce canton détourné de la nature ; et que de ce petit cachot où il se trouve logé, j’entends l’univers, il apprenne à estimer la terre, les royaumes, les villes et soi-même à son juste prix. »

Pascal visionnaire ? Pas tout le temps ! « Tout le malheur des hommes vient d’une seule chose, qui est de ne pas savoir rester en repos, dans une chambre. »

Il nous semble que notre malheur actuel vient du postulat contraire. Vivement que nous sortions de nos chambres, de nos repos, de nos cachots. Vivement que nous revoyions des candidat.e.s, des collègues, du monde autrement que par écrans interposés.

Et vivement que nous nous re-trompions (un peu) (beaucoup) (à la folie) sur nous-mêmes !

 

recruter, c’est comprendre

recruter, c’est comprendre

 

Ferdinand Von Schirach est un ancien très bon avocat, devenu un très grand écrivain.

Après Crimes et Coupables, Sanction est son troisième recueil de nouvelles. Elles sont toujours cliniques, elliptiques, saisissantes – comment des individus comme vous et moi peuvent-ils basculer dans l’innommable ? Au prix de quels hasards, malchance, accès de sang noir ? Ferdinand Von Schirach se garde de répondre : ses nouvelles, aussi belles qu’austères, sont pleines de silence ; elles nous parlent longtemps après qu’on les a finies.

Dans l’une d’entre elles, une jeune femme postule dans un grand cabinet d’avocats berlinois. Elle « subit » l’entretien du directeur administratif. Il est précis, méthodique, désagréable. Il lui pose des questions telles que :

  • Qu’est-ce que vous n’échangeriez jamais contre de l’argent ?
  • Quelle question ne souhaiteriez-vous pas que l’on vous pose ?
  • Quelle est la plus grosse erreur que vous ayez commise ?

Seyma (c’est son prénom) est préparée. « Elle répond avec calme et courtoisie. Elle a beau trouver ça ridicule, elle n’en laisse rien paraître. »

Le Doyen du cabinet, « le Vieux », arrive sur ces entrefaites. L’atmosphère change du tout au tout. « Le Vieux » s’intéresse à elle, vraiment. Il l’écoute, vraiment. Il essaie de la comprendre, vraiment. Seyma devient plus naturelle, elle s’ouvre, se confie, elle oublie ce qu’elle avait préparé. Quand le Vieux lui demande pourquoi elle a choisi le droit, elle songe à ce qu’elle a répondu, un instant plus tôt, au directeur administratif (« elle a parlé de fondements de la société, de responsabilité, d’idéal humaniste et d’amour de la justice »). Elle répond : « Je ne veux plus jamais que quelqu’un décide de ma vie. Le droit doit me protéger. »

Seyma est embauchée.

Recruter, c’est ça, rien que ça au fond : écouter, comprendre, partager.

 

le confinement, c’est l’activité

le confinement, c’est l’activité

 

Dans Le monde est clos et le désir infini, Daniel Cohen rappelle les travaux de Benjamin Friedman sur les conséquences morales de la croissance économique. Il n’est pas inutile de s’y replonger en ces temps de crise sanitaire et économique, toutes deux aussi spectaculaires qu’inédites.

En résumé, les grandes périodes progressistes de la vie américaine ont toujours été le fruit d’une croissance économique forte. À l’inverse, les dépressions économiques se sont toujours doublées de replis sociaux, qui ont entraîné l’émergence ou la résurgence de mouvements populistes, racistes (le Ku Klux Klan) ou conservateurs. Il en fut de même en France et en Europe (songeons à la montée irrépressible du nazisme en Allemagne dans les décombres du Krach de 1929).

Une exception toutefois, qui doit nourrir notre espérance de lendemains meilleurs (ils arrivent toujours, c’est un fait) : le New Deal porté par Roosevelt à compter de 1933.

La peur, la dépression, l’ennui ne rendent pas plus productifs. Au contraire. La perte de productivité des gens malheureux est estimée, selon plusieurs études, à plus de 10%. Les salariés heureux sont plus créatifs, plus coopératifs, plus entrepreneurs.

Comment sortirons-nous du confinement ? Pas forcément heureux au vu des bouleversements en cours, mais il sera (il est) du devoir des gouvernements, des entreprises et de nous toutes et tous, salarié.e.s, de nous représenter les conditions du rebond. De vies alternatives ou meilleures. De choix essentiels. D’exercices de volonté et de confiance.

Dans ces temps de confinement, confronté.e.s à nous-mêmes, il me semble que chacun et chacune d’entre nous a ressenti, à rebours de ce qui se dit des Français (pour lesquels le parti pris serait contre et non pour le travail), l’importance, le pouvoir et les rôles de ce dernier. Rôle social. Rôle intellectuel. Rôle de développement. Rôle de réalisation. L’activité partielle est une plaie : soudain, les journées se sont vidées. Soudain, les heures se sont allongées.

La Bruyère a offert à la France du XVIIème siècle un fascinant miroir ; nous nous y reflétons toujours. Il écrivait : « Il faut en France beaucoup de fermeté et une grande étendue d’esprit pour se passer des charges et des emplois et consentir ainsi à demeurer chez soi, et à ne rien y faire. Personne n’a assez de mérite pour jouer ce rôle avec dignité, ni assez de fond pour remplir le vide du temps. »

Le confinement, au fond, nous fait aimer ou ré-aimer le travail…