cet été, c’est penser

cet été, c’est penser

 

Au début, on n’y croit pas. Soyons sérieux. Peut-on parler, à 7.55, tous les matins de l’été sur la première radio de France, de… Blaise Pascal ? La réponse est : oui. Prêtons l’oreille. C’est Antoine Compagnon qui s’exprime : il n’est pas n’importe qui.

Blaise Pascal est né en 1623. Un an après la Fontaine, deux après Molière : c’est le Grand Siècle qui entre au stade de France aux accents de l’hymne de la Ligue des Champions. Blaise Pascal est mort en 1662. 39 ans : le temps de connaître plusieurs vies, qu’il a enchainées comme Ayrton Senna les tours de piste, à une allure folle. Récapitulons. Mathématicien. Physicien. Inventeur (entre autres de la machine à calculer). Brio absolu. Intelligence suprême. Puis, libertin, jouisseur. Et enfin, à la suite d’un accident au Pont de Neuilly, mystique. Repliement sur Dieu, une Foi qui le consume comme un Feu, le Pari qui a fait tant parler. Et surtout, les Provinciales (1656) et les Pensées (1669). Les Pensées sont un grand livre inachevé, suite de fulgurances, de notes, d’abîmes, de bifurcations. C’est un autre brasier, aussi moderne qu’Une vie en enfer de Rimbaud ou les Chants du Maldoror de Lautréamont.

Pourquoi lire Pascal ? Antoine Compagnon le dira mieux que nous dans son Eté avec Pascal. En un mot, (Blaise) Pascal est le frère en doute de Montaigne. Pour les deux, nous sommes faibles, envieux, changeants. Nous ne connaissons rien au monde, nous ne comprenons rien à nous-mêmes. La différence entre les deux ? Le doute de Montaigne est souriant, celui de Pascal grimaçant. Et infini, rendu dans une langue sublime.

En attendant l’AI et l’Homme Dieu (qui dit-on est en train de remplacer le Dieu de Pascal), cet été on reprendra un peu de ses Pensées.

 

le mensonge, c’est la vérité

le mensonge, c’est la vérité

 

Il fallait bien qu’un jour on finisse par tomber le masque : lire la Harvard Business Review (en VO et en VF), Les Échos Management ou le fil des cabinets de conseil en stratégie sur LinkedIn, ça va un moment. Alors, bien sûr ne nous faites pas dire qu’on s’y ennuie ; qu’on n’y apprend rien ; qu’ils nous tombent des mains. Au contraire. On s’y plonge. On y déniche (parfois) de nouveaux mots, on y découvre (souvent) de nouveaux concepts, des mondes prêts à advenir, qu’on ignorait, qui nous fascinent. C’est juré, ils nous font réfléchir, ils donnent de la profondeur à nos analyses, ils bousculent nos façons de voir – en un mot ils nous enrichissent…

Mais…

Mais ne pensez-vous pas qu’il y a… mieux ?… Plus fort ? Plus intense ? Plus subversif pour à la fois se comprendre et comprendre le monde professionnel ? Par exemple, en lisant Scott Fitzgerald – qui reste un compagnon de route indispensable en termes d’apprentissages et d’émotions – de naufrages aussi ? Ou Hemingway – qui constitue en tout une boussole indépassable dès lors qu’on traite de courage et d’accomplissements, physiques et moraux ?

Lire des romans nous fait tels que nous sommes au gré d’aménagements mobiles, souples et imparables. En passant par le délicieux mensonge qu’est la fiction, lire permet de recueillir sur soi les meilleurs indices de connaissance et d’atteindre sur les êtres qui nous entourent une vérité plus vive et plus exacte.

En avouant que « la mort de Lucien de Rubempré avait été le plus grand drame de sa vie », Oscar Wilde avait (presque) tout dit. Alors cet été, au bord de la mer ou face aux montagnes, le soir comme le matin, laissez tomber la presse économique : lisez des romans !

une vie, c’est plus qu’une vie

une vie, c’est plus qu’une vie

 

Un très beau livre porte très souvent un très beau titre. C’est le cas du D’autres vies que la mienne d’Emmanuel Carrère. Trouve-t-on plus beau ? Mieux qu’un titre, c’est au fond ce que propose le meilleur de la littérature, des vies que nous n’aurons jamais mais qui, le temps de la lecture, deviennent les nôtres.

Les chasseurs et les coachs passent aussi leurs vies penchés sur d’autres vies : celles de leurs candidat(e)s et de leurs coaché(e)s. De ces vies, ils recueillent des récits profonds, sincères, justes. Quelles sont-elles ? A quoi aspirent-elles ? Quelles pourraient-elles être ? Ils parlent d’expériences, de compétences et de motivations mais pas seulement : de hasards aussi, de leurs marelles fantasques, de doutes et de désirs…

Souvent quelque chose se passe, qui n’est pas prévu parce qu’on ne pense jamais mieux que lorsqu’on doute, qu’on se déleste de soi, de son ego et de ses préjugés. Apparaissent alors d’autres vies que la sienne. Faut-il les rejoindre ? Y céder ? S’y soustraire ?

Dans la tradition stoïcienne, Emmanuel Carrère rappelle que :

 

L’accomplissement est fruit de la cohérence, de la fidélité à soi, de la patiente sculpture d’une personnalité aussi stable que possible. Comme on ne pourra jamais prendre tous les chemins de la vie, la sagesse est de suivre le sien, et plus il est étroit, moins il bifurque, plus on aura de chances de monter haut.

 

Pour autant, chasseurs et coachs doivent aussi aider leurs interlocuteurs à accoucher d’autres vies, à en prendre la mesure et, parfois, à s’y préparer. Bifurqueront-elles ensuite, un peu, beaucoup, à la folie ?…

Peu importe, les connaître, les nommer, jouer avec « what if », c’est déjà comprendre qu’une vie, c’est plus qu’une vie.

 

le travail, c’est devenir soi

le travail, c’est devenir soi

C’est au grec que l’on retourne lorsque nous sommes las de l’imprécision, de la confusion et de notre époque.

… estimait Virginia Woolf. Elle n’avait pas tort : les Grecs avaient, entre autres, le goût du mot juste. L’amour ? Un seul terme ne leur suffisait pas. Alors, ils en ont inventé plusieurs dont 4 nous parlent encore : Eros (la passion), Storgê (l’amour familial), Philia (l’amitié) et Agapè (l’amour désintéressé). Le temps ? Un seul mot pour l’appréhender ? Mais vous n’y pensez pas ! Du coup on y va pour Kairos (l’occasion), Chronos (la durée) et Aiôn (la destinée).

Rien de tel pour le travail. Sans doute les esclaves qui les « assistaient » ne les ont-ils pas réellement incité à étudier la question. C’est dommage. Car il y a, dans le travail, plusieurs catégories qui se superposent, se mélangent ou s’ignorent c’est selon. Envisageons-en trois.

D’abord, le « job » alimentaire : on le subit mais il nous fait vivre. Comme on n’en attend rien, il ne nous donne rien sinon un salaire. C’est peu mais ça peut être beaucoup parfois.

A son exact opposé, il y a la vocation : on la vit plus qu’elle ne fait vivre, elle porte et elle exalte. Le salaire importe alors moins que l’œuvre qu’on construit et le sens qu’on y trouve.

Il y a enfin le travail qui jette un pont entre les deux : on ne l’a pas forcément choisi (la destinée peut y présider) mais on s’y investit et il nous rend ce que nous lui donnons. Au bout, à côté d’un salaire, il y a le progrès, il y a le développement, il y a parfois le plaisir – il y a en somme la réalisation de soi.

 

recruter, c’est sentimental

recruter, c’est sentimental

Lord Mountbatten s’en amusait : « Je vote travailliste mais mon valet de chambre vote conservateur. » Derrière la boutade, se cache une vérité de fond : le vote reste une affaire de sentiment. De fait, qui étudie le programme des candidats qui se présentent à une élection ? Qui possède les connaissances nécessaires, en sciences politiques, en droit ou en économie, pour choisir en connaissance de cause ? Peu d’entre nous. Pourquoi en va-t-il ainsi ? Parce que nous ne votons pas en fonction de ce que nous pensons : nous votons en fonction de ce que nous ressentons.

Le recrutement procède à l’identique : recruter est – et reste – un acte sentimental. Nombreux sont les recruteurs qui connaissent leurs propres biais, les chausse-trappes dans lesquels ils ont l’habitude de tomber, la manière (aussi) de les éviter : par exemple, en procédant à un assessment-center, qui va aligner les compétences souhaitées sur des comportements observables et observés. Mais ils n’en ont cure. Ils préfèrent recruter en fonction de ce qu’ils ressentent – et donc de leurs sentiments

Est-ce par mimétisme ? Toujours est-il que les sentiments guident aussi les candidat(e)s. Etre recruté est – et reste – un acte sentimental. Un recruteur est toujours surpris de rencontrer des candidats qui ont peu ou mal préparé leur entretien, qui s’engagent chez un employeur parce qu’ils « le sentent » ou parce qu’ils ont eu « un bon feeling avec l’équipe »… Blaise Pascal, qui est mort il y a près de 400 ans, nous avait pourtant prévenus : «  Rien n’est plus important que le choix d’un métier mais souvent le hasard en dispose. »

Lutter contre l’émotion – et le hasard – n’est pas toujours recommandé. Ajouter la raison à l’émotion – ou au hasard – est en revanche toujours recommandable. Foi d’haxio !