le management, c’est le changement

le management, c’est le changement

 

Le tout récent prix Goncourt a un titre impossible. « Tous les hommes n’habitent pas le monde de la même façon ». Comme titre on a connu mieux, comme roman pas forcément. « Tous les hommes n’habitent pas le monde de la même façon » est un roman tendre, drôle et mélancolique, loufoque et tragique, au ton gai, au ton triste, un de ces livres que l’on referme à regret, comme (presque) tous ceux de Jean-Paul Dubois qui excelle à décrire des losers glorieux, des paumés magnifiques qu’on aimerait aider, soutenir, requinquer et qu’on regrette toujours de ne pas côtoyer « dans la vraie vie ». Il y a, chez cet écrivain, ce qu’on aimait chez Antoine Blondin, quelque chose comme un « Dépêchons nous d’en rire de peur d’être obligés d’en pleurer », une sorte d’élégance désenchantée, de désespoir souriant, de bienveillance baignée de larmes.

Tous les hommes habitent-ils l’entreprise de la même façon ? Pas forcément Monsieur Dubois, pas forcément. Le sociologue des organisations François Dupuy faisait état dans un de ses livres les plus connus de la demande un peu désespérée d’un de ses clients, président d’une grande multinationale, relative à la manière dont il pouvait obtenir des « gens » (entendez : ses salariés) « qu’ils fassent ce qu’il aurait aimé qu’ils fassent » – ce qui constitue, selon Dupuy, « la définition la plus simple de cette activité qu’on appelle le management. »,

Et de fait le constat de François Dupuy dans la Faillite de la pensée managériale est amer : quoiqu’on en dise, peu de changements sont intervenus dans le monde du management depuis 40 ans. Si on remonte un peu plus loin, la demande de ce dirigeant était la même que celle d’Henry Ford au début du Vingtième Siècle. Il y avait répondu, via Taylor, par l’Organisation Scientifique du Travail. Où en sommes-nous aujourd’hui ? Le monde change à folle allure, les entreprises et les secteurs avec lui, tout valse sauf l’attente de performance et ces bonnes vieilles méthodes de management : comment diable faire en sorte que les « gens » exécutent ce qu’on leur dit ?

Entendons-nous : les héros de Dubois ont des métiers impossibles, promeneur de chiens, gardien d’immeuble, photographe-jardinier, pasteur. Ils sont pleins de larmes et de doutes, ils sont fragiles et cabossés, ils se trompent plus souvent qu’à leur tour – mais au fond ne sont-ils pas comme nous ? Difficiles à embarquer – mais désirant ardemment l’être. En quête de sens – mais l’accueillant avec reconnaissance. Sceptiques – mais confiants dans la confiance donnée et partagée.

C’est à ces conditions que tous les salariés habiteront l’entreprise de la même façon !

aujourd’hui, c’est déjà demain

aujourd’hui, c’est déjà demain

C’était hier. On se souvient de tout. Jacques Chirac venait d’être élu président de la République. Il n’avait pas ménagé sa peine. Il avait survécu à tout, au temps, à ses amis, à lui-même. On le croyait ennemi de François Mitterrand, ils s’étaient détestés : sur le perron de l’Elysée ils affichaient leur complicité. Il y avait du bonheur, il y avait de la tristesse. La France des pommes chantait, celle de la rose pleurait. Ces deux France n’en formait-elle qu’une ? C’est ce qu’on raconte aujourd’hui. On changeait d’époque – mais on ne le disait pas, peut-être parce qu’en France on voudrait croire que rien ne change jamais – ou on ne le savait pas, parce qu’on voudrait croire que l’avenir est assis sur les genoux de Dieu alors qu’il est là, installé dans le présent, prêt à le renverser, le renversant à chaque instant sans faire de bruit.

Les présidents qui meurent font remonter les souvenirs de nos vies. Chacun se souvient de ce qu’il faisait en 1995, en 2002, en 2007… Autour du palais de l’Elysée, se reconstruisent nos vies au son de la fanfare de cavalerie de la garde républicaine.

Le monde de 1995, à le regarder du vivace aujourd’hui, est méconnaissable. Il était vertical et lisible. Il est devenu horizontal et illisible. Il y avait des journaux papier, des K7 vidéos et des cigarettes : ils sont partis en fumée. Il n’y avait ni téléphone portable, ni réseaux sociaux, ni Google : le premier qui peut s’en passer désormais lève la main. Internet balbutiait, Yahoo et Amazon faisaient Arheu. Les ordinateurs avaient la taille d’une Smart ; les imprimantes celle d’un bahut… ça ne choquait personne.

Le recrutement était un sport de combat et une partie de cache-cache. Les candidats étaient invisibles, sourds et muets. On les cherchait à tâtons dans des organigrammes ou des annuaires d’écoles papier. On laissait des messages sur leurs téléphones fixes. Ils nous en laissaient à leur tour sur les nôtres. C’était sans fin. On les rencontrait le soir à des heures tardives, le matin à des heures précoces. S’absenter du bureau dans la journée relevait de la gageure. Un recrutement durait un siècle : les clients n’y trouvaient rien à redire.

C’est incroyable non ? On parle bien de 1995, pas du siècle de Periclès. Ni LinkedIn. Ni mail. Ni texto. Pas de Powerpoint. Forcément : pas d’ordinateur portable. Qui s’en souvient ?

Quand le président actuel disparaîtra à son tour (on souhaite sincèrement que ce soit le plus tard possible), ceux qui ont vingt ans aujourd’hui se souviendront à leur tour de 2017, 2022, 2027… A quoi ressemblera le monde en général et celui du recrutement en particulier ? Ray Kurzweil, futurologue du MIT, estime que demain (2030 ? 2040 ?) les ordinateurs passeront le test de Turing, qui consiste à détecter si un humain peut distinguer s’il s’adresse à un ordinateur ou à un autre humain.

2019 semblera alors aussi lointain que le siècle de Périclès…

 

notre métier, c’est le plus beau du monde

notre métier, c’est le plus beau du monde

Notre métier est le plus beau métier du monde. On ne le dit pas assez. On nous en proposerait d’autres, plus glamour, mieux payés, que nous n’en voudrions pas. Etre Brad Pitt ou Scarlett Johansson ? Non, merci. Jouer comme Rodgeur ? Non, merci. Chanter comme Céline (Céliiiine, les stades en délire, les paparazzi battant le pavé au pied de l’hôtel, les collections de disques de platine) ? Non, merci.

Car notre plaisir, voyez-vous, est d’écouter des candidats. Et, en les écoutant activement, en leur accordant un degré d’attention extrême, les aider à mieux se comprendre – et à mieux comprendre le marché du travail, les aider à mieux se trouver – et à mieux trouver, sinon l’emploi de leurs rêves (être Céliiiiine, vraiment ?), au moins celui qui leur plait.

Car souvent, très souvent, trop souvent, les candidats que nous rencontrons sont malheureux. Ils ne nous le cachent pas. Ils en bavent. Ils s’ennuient. Le dimanche après-midi n’est pas à proprement parler le meilleur moment de leur semaine. Et forcément ça ne s’arrange pas le lundi. Leur boîte boite. Leur boss est une plaie. Ils ne le disent pas en ces termes mais c’est l’idée. ÇA-NE-VA-PAS.

A un moment de leur vie, ils ont pourtant voulu croire au conseil de Confucius : « Choisis un travail que tu aimes, et tu n’auras pas à travailler un seul jour dans ta vie ». Qu’est-ce qui n’a pas marché ? Ils l’ignorent. Ils ont la désagréable impression d’avoir travaillé tous les jours de leur vie.

Il y a plusieurs écoles à propos du travail – nous en reparlerons. Pour l’heure, retenons-en deux, aussi opposées que sont le gris et les couleurs, l’OM et le PSG, l’Auguste et le clown blanc. D’un côté, le travail comme aliénation, privatif de liberté, qui vous « fait perdre la vie en la gagnant (sous-entendu : mal) ». De l’autre, le travail comme épanouissement personnel, qui vous réalise, vous complète et vous apporte, au sein d’une entreprise dont vous partagez les valeurs et les ambitions, la joie qu’évoque Aristote dans son Éthique à Nicomaque.

Nous sommes, résolument et définitivement, de la deuxième école : c’est pourquoi notre métier est le plus beau du monde !

la confiance, c’est une grande affaire de…

la confiance, c’est une grande affaire de…

La confiance est la grande affaire du capitalisme. C’est quelque chose que Marx a loupé. « Il n’y avait pas que le capital et le travail Karl ! » Que feraient les consommateurs s’ils n’avaient pas confiance dans les produits qu’ils achètent ? Que feraient les entrepreneurs et les banquiers s’ils n’avaient pas confiance dans l’avenir ? dans leurs équipes, leurs produits, leurs partenaires ? La réponse est rien.

La confiance est la grande affaire de la politique. A la question « D’une manière générale, diriez-vous que l’on peut faire confiance à la plupart des gens ou que l’on n’est jamais assez prudent lorsqu’on a affaire aux autres ? », en miroirs parfaitement inversés, les électeurs d’Emmanuel Macron font massivement… confiance et ceux de Marine le Pen massivement pas. Dans « La société de défiance », Yann Algan et Pierre Cahuc analysent les raisons pour lesquelles les Français figurent parmi les recordmen mondiaux de la défiance mutuelle et de l’incivisme. A leurs yeux, cette défiance trouve son origine dans le mariage du corporatisme et de l’étatisme dont ont accouché, à la Libération, le modèle social français et, aujourd’hui, un immense sentiment d’injustice. 37 professions réglementées, 42 régimes de retraites, plus de 500 systèmes d’assurance maladie et près de 500 niches fiscales… qui peut dire sur la plage ou dans le métro qu’il ressemble à son voisin ? La réponse est personne. C’est cette défiance endémique qui alimente, dans un même mouvement schizophrène, l’envie, la peur du changement et l’impossibilité de la réforme.

La confiance est la grande affaire du bonheur. Depuis l’origine, les femmes et les hommes éprouvent le besoin de se sentir unis, liés, soudés. C’est un des traits constants du bonheur que de pouvoir aller vers l’autre ; de lui faire confiance ; de s’en remettre à lui pour coopérer, construire, se projeter.

La confiance est (aussi) la grande affaire du recrutement. Sans confiance dans l’avenir, un client ne recrutera pas ; sans confiance en nous, il ne nous confiera pas de mandat ; sans confiance en haxio, un candidat ne se confiera pas. Pas de confiance, pas de confidences – encore moins de confession. Chacun aime donc être digne de confiance. C’est à dire fiable, engagé, bienveillant. Faut-il pour autant se fier « tout le temps et à n’importe qui » semble nous demander ironiquement XIII le héros de la série éponyme ? Retenons la magnifique proposition de Christian Bobin « la confiance, c’est la capacité enfantine d’aller vers ce qu’on ne connaît pas comme si on le reconnaissait ».

recruter, c’est rencontrer

recruter, c’est rencontrer

 

Les entretiens sont toujours des moments uniques. Un CV ressemble à un autre CV ; un entretien jamais. Chaque candidat (F/H), en fonction de ce qu’il est, de ce qui l’amène et de ce qu’il emmène, y donnera une couleur, une matière et une profondeur différentes.

Les entretiens sont des moments d’émotion. Certains voudraient qu’ils n’en fussent pas. Ils leur préfèrent les machines prédictives ou les assessment centers qui éliminent l’ensemble des biais qui surgissent durant un entretien, les apartés, la subjectivité. Ils ont raison à 100%… et tort à 100%.

L’important n’est-il pas dans le chemin ? Dans la surprise, l’inattendu, la ligne qui manque sur le CV ? Une question, soudain, libère un espace ; ouvre un monde ; renverse tout. La magie a opéré. Le doute s’est invité. La réflexion peut commencer.

Passer un entretien avec un chasseur ou un coach, c’est passer un entretien avec soi ; comme le disait André Breton de l’amour, c’est recevoir de ses nouvelles. C’est disposer, durant une heure et demie, d’un guide qui vous accompagne en territoire inconnu : vous-même. Tout était là, mais informulé ; ou tout était là, mais trop formulé ; bref, tout n’était pas là. Quel professionnel suis-je ? Que désiré-je ? On se croit à l’autre bout du monde ? C’est le cas : on est entré en soi. Quelle aventure !

Les plus belles surprises s’échappent alors tels des lapins du chapeau du prestidigitateur : derrière la Directrice Générale inflexible, la fan de Bacon. Derrière le Directeur Financier gardien du temple, l’écrivain de polars déjantés. Derrière la DRH de grand groupe, l’ex footballeuse de haut niveau. Les cartes sont rebattues : tout redevient possible – ou presque.

La mère de Socrate était sage-femme, son fils, devenu philosophe, disait exercer le même métier. A l’une les corps ; à l’autre les esprits ; aux deux la maïeutique. Tant que nous questionnerons des candidats-es et serons surpris-es par elles et eux – qui seront aussi surpris-es par… eux et elles, nous continuerons d’aimer notre métier… de sages-femmes et sages-hommes !

la perte, c’est le changement

la perte, c’est le changement

 

C’est dans les années 40 qu’Abraham Maslow a eu l’idée de ranger les besoins humains sur les cinq degrés d’une pyramide qui allait très vite porter son nom.

Selon le psychologue américain, le premier besoin fondamental de l’homme est d’ordre physiologique. Si vous vivez à la lisière de l’existence physiologique, sans emploi ni domicile, la nourriture, l’eau, le sommeil seront primordiaux : le reste ne revêtira aucune importance.

Le deuxième besoin fondamental vient très vite après : il est d’ordre sécuritaire. Si vous vivez en temps de guerre ou dans le chaos d’une catastrophe naturelle, votre unique préoccupation sera de stabiliser votre environnement, de le rendre aussi prévisible, « safe » et rassurant que possible.

Ces deux besoins fondamentaux garantis, Maslow théorise alors l’émergence de besoins dits « supérieurs » : ils vont occuper les niveaux élevés de la pyramide. D’abord, le besoin d’appartenance (amour, affection des autres…). Ensuite le besoin d’estime (reconnaissance, appréciation des autres…). Enfin le besoin d’accomplissement de soi.

Lorsque nous chassons des candidats, nous privilégions naturellement dans nos discours les besoins supérieurs de Maslow : dans nos sociétés avancées, chacun s’est mis en quête du sens et de l’épanouissement qui figurent en haut de la pyramide. C’est pourtant ignorer que de nombreux candidats préfèrent en rester au niveau 2 : ils éprouvent du mal à quitter leur employeur, à se mettre en mouvement, à faire bouger leurs propres lignes. Y songent-ils seulement ? C’est à voir. Au bord du vide, quitter le mal connu pour le bien à connaître leur donne le vertige. Ils ressemblent à Bélikov ce personnage de Tchechov dans L’homme à l’étui.

Bélikov ne sort jamais de chez lui sans son pardessus, son parapluie, ses caoutchoucs – ses « étuis » le protègent du monde extérieur. Il est professeur de grec ancien « car les langues mortes ne bougent plus, elles sont ce qu’elles sont à jamais. ». Tout, dans le changement l’effraie car tout changement est perte. Mieux : la perte, c’est le changement. Il renonce de la sorte à sa propre liberté car il sait que la liberté, c’est aussi celle des autres, qu’il ne contrôlera pas.

Ces candidats, beaucoup plus nombreux qu’on ne le croit, dont le besoin fondamental est de rester les mêmes dans un environnement dont ils aimeraient qu’il reste le même, échapperont-ils toujours aux radars des chasseurs ?…