la biographie, c’est fini…

la biographie, c’est fini…

 

Le débat fait toujours rage chez les agrégatifs et les thésards en lettres : pour ou contre Sainte-Beuve ? L’affaire ne date pas d’hier. Résumons-la.

Les pro Sainte-Beuve soutiennent que pour bien comprendre une œuvre il faut connaître la vie de l’auteur. Notre avis : ce n’est pas forcément faux. Dans le sillage de Proust, les anti Sainte-Beuve affirment que l’œuvre se tient toute seule, que le « moi social » d’un écrivain n’a rien à voir avec son « moi profond ». Notre avis : c’est à l’évidence vrai.

Dans une de ses Chroniques du hasard, déjà citées ici, Elena Ferrante fait référence à un tableau qui la fascine dans l’église (et musée) Pio Monte della Misericordia à Naples. Cette œuvre, qui représente une nonne, date du XVIIème siècle et n’est pas signée. Tout est là me semble-t-il. « J’ai toujours aimé cette notion d’artiste inconnu » – explique Elena Ferrante. « Elle implique que tout ce qu’il m’est possible de connaître sur la personne qui a réalisé ce tableau, c’est la toile que j’ai sous les yeux. » Elena Ferrante estime ainsi que les options artistiques que le peintre concentre sur la toile, ses transgressions, ses choix de perspective, de traits ou de couleurs, l’expliquent mieux que toutes les biographies.

Il en va ainsi en recrutement qui au fil des années a délibérément effacé le moi « social » des candidats-es sur leur CV. Plus d’adresse postale, plus de situation de famille, de moins en moins de prénoms que remplacent, sur les adresses mails, une seule lettre, consonne ou voyelle. Plus de hobbies non plus, ou alors des notes si générales qu’elles ne disent plus rien, les voyages, le sport, la gastronomie. L’entretien de recrutement est à l’avenant : tout ce qu’il est possible de connaître sur le ou la candidat-e est sous nos yeux, dans ses réalisations, ses comportements qui traduisent ses compétences, sa personnalité. La vie privée, « son moi social », ses parents, enfants, compagnes ou compagnons, toute sa biographie a disparu…

Dans le recrutement, c’est (donc) contre Sainte-Beuve…

 

une première fois, c’est toutes les fois

une première fois, c’est toutes les fois

 

Elena Ferrante, l’auteur de l’Amie prodigieuse, a rédigé pendant un an, de janvier 2018 à janvier 2019, une chronique hebdomadaire dans The Guardian. Ces textes font aujourd’hui l’objet d’un recueil, Chroniques du hasard.

La première chronique s’intitule Première fois ; la dernière, Dernière fois. La dernière est peu intéressante, la première est passionnante, la plupart le sont aussi.

Elena Ferrante, auteur célébré dont on ignore l’identité… et le sexe (en dépit des nombreuses enquêtes et spéculations des journalistes italiens), y explique qu’elle a dans une vie passée envisagé de rédiger une chronique de ses Premières fois. Elle y a renoncé après avoir échoué à retrouver le visage de son premier amour, le goût de ses baisers, qui il était et qui elle était, elle, quelle adolescente fiévreuse, emportée… inconnue…

« Ce que nous avons été à l’origine n’est qu’une vague tâche de couleur que nous contemplons depuis le rivage de ce que nous sommes devenues. »

Se souvient-on à l’âge d’Elena Ferrante, qui a sans doute dépassé les cinquante ans, de nos premiers entretiens de recrutement ? Plus trop. Nous nous rappelons ceux qui nous ont marqués, parce que nous avons obtenu le poste convoité ou ceux où nous avons échoué, d’un souffle, d’un rien, sans que le chasseur ou l’employeur nous donne une explication qui nous satisfasse, parce qu’il n’y en avait pas au fond, c’était une histoire de pile ou face, nous étions pile, c’est tombé face.

On peut toutefois ne pas être d’accord avec Elena Ferrante sur l’impossibilité – et l’inutilité – de ramener à soi les instants du passé. Je crois que nos premiers entretiens auront servi ceux qui ont suivi, que nous apprenons de nos échecs comme de nos réussites, que nous nous découvrons et nous améliorons sans cesse, au fil des entretiens, comme un pianiste qui fait ses gammes, un demi-fondeur ses tours de piste. En entretien, dans nos emplois et dans nos vies, nous finissons par être nous-mêmes, autres que ce que nous fûmes, c’est-à-dire les mêmes mais différents, enrichis, alignés – nous à jamais en quelque sorte…

 

nos faiblesses, c’est nous

nos faiblesses, c’est nous

 

Le dernier livre d’Hugo Boris commence par un aveu. Il y a quelques années, alors même qu’il venait d’obtenir sa ceinture noire de karaté, il assiste à une altercation dans le RER B. Paralysé par la peur, ce genre de peur qui vous prive de jambes, de bras, de tout, il n’intervient pas ; il se contente de tirer le signal d’alarme. Ce souvenir, dont il observera au fil des ans des répliques, le hante : que dit-il de lui, de son caractère, de sa personnalité ? Le livre s’appelle Le courage des autres. Il est très beau. Sur la base de cette panique originelle et répétée, c’est une sorte d’herbier, une série d’instantanés, des vignettes écrites sur le vif, dans les transports en commun, qui en disent beaucoup sur les autres, voyageurs, inconnus, touristes – et naturellement sur lui.

Hugo Boris abat d’emblée les cartes : La vie est un processus au cours duquel vos points les plus faibles seront infailliblement découverts. C’est une citation de Julian Barnes. Rien n’est plus exact : la vie est bien cette machine à rayons X, et le travail plus encore, où on n’échappe pas à soi, ses faiblesses, ses carences, ses travers. Sur la durée, tout apparaît… le bon aussi, d’ailleurs…

L’entretien de recrutement est-il aussi un processus au cours duquel nos points les plus faibles sont infailliblement découverts ? Infailliblement non. Mais ils apparaissent, aux yeux des chasseurs, sous forme de pistes à creuser, de questions, de doutes. Chaque candidat doit faire avec : de la même manière que la peur n’éloigne pas le danger, le mensonge (ou le travestissement) n’éloigne pas la réalité, Sur la durée, tout apparait…

Il faut toutefois rester positif : heureusement que nous sommes ce que nous sommes, avec nos forces et nos faiblesses. Mais à l’instar d’Hugo Boris, il nous faut aussi de la lucidité pour reconnaître nos faiblesses. Du courage pour les affronter. De la volonté pour les corriger…  et du support (feed-back, bienveillance, conseils) pour nous accompagner et nous soutenir… dans la vie comme au bureau…

 

2020, c’est maintenant

2020, c’est maintenant

 

A chaque début d’année on souhaite le meilleur à chacun, sa famille, ses proches, ses relations. C’est la tradition des vœux. Ça a un côté rafraichissant. Les gammes sont connues : la santé, la prospérité, la réussite, les succès. Comme on ne sait pas toujours les qualifier ni les quantifier, on s’en remet aux superlatifs – plein (de réussite), nombreux (succès), beaucoup (de bonheur). On y va franchement : en même temps, ça ne coûte rien. Cocteau disait de Proust qu’il avait une mauvaise santé de fer. Il avait aussi un moral d’acier. Cette santé, ce moral, ces succès, on les espère aussi pour soi.

 A quoi ressemblera 2020 ? Nul ne le sait. A Paris, l’année commence comme elle a fini : rares métros, nombreux vélos, parfum d’exaspération. Il y a pire… parce qu’il y a toujours pire. L’Australie flambe. Le Moyen-Orient menace de. Comme presque toujours, rien n’est simple. Homère disait que l’avenir était assis sur les genoux des Dieux. On ne le croit plus. Pour autant on ignore sur les genoux de qui – de quel Homme-Dieu ? – l’avenir est désormais assis. Qu’importe. Je pense qu’on ne mesure pas la chance que l’on a. L’époque que nous vivons est tout de même formidable ; l’avenir plein de promesses même avec la retraite universelle avec (ou sans) un âge pivot à 64 ans. Sous Louis XIV, l’espérance de vie était de 25 ans. Plus près de nous, la première guerre mondiale a fait presque deux millions de morts et quatre de blessés. La durée moyenne de travail à la Libération était de 46 heures hebdomadaires. De quoi nous plaignons-nous ? Nous sommes (presque) tous des privilégiés. Les congés payés. Les week-ends. Les jours fériés. Tous nos filets de sécurité. Doit-on se plaindre du travail ? On se plaint plus encore lorsqu’on le perd…

Alors, en 2020, soyons heureux d’avoir ce que nous avons.

En 2020, soyons heureux d’avoir la liberté de pouvoir faire des/ nos choix.

En 2020, soyons heureux de penser, comme Kant, qu’il y a toujours une place pour l’espérance qui est « la sœur du souvenir ».

En 2020, soyons heureux de penser que, même s’il faut se battre, l’avenir est toujours ce qu’il y a de mieux.

En 2020, soyons heureux d’aller de l’avant ensemble

souriez, c’est Noël

souriez, c’est Noël

 

Franchement, vous savez comment faire vos courses de Noël avec ces fichues grèves ? Si oui, on est preneurs. En plus vous savez quoi : il pleut. Forcément ça n’arrange rien. Paris ressemble à une fourmilière géante version aquarium. Où que vous posiez votre regard ça bouge. Des piétons. Des vélos. Des trottinettes. Des scooters. Des voitures. Des roues. Des bus (enfin pas tant de bus que ça). Et des parapluies. A chaque carrefour, on craint la collision suivie de l’échauffourée suivie de Dieu sait quoi. Au-dessous (i.e. le réseau RATP), ça bouge nettement moins. Il est d’ailleurs quasi impossible d’y accéder. Heureusement, le père Noël arrive du ciel lui. Pas de grève là-haut, ni d’âge pivot. Il se fiche de la retraite le bonhomme en rouge : chaque année il remet ça. Qu’aura-t-il dans sa hotte ? En cette période incertaine, que dominent la défiance, la colère et la peur, on aimerait qu’il nous apporte ceci, emballé dans de beaux paquets cadeaux :

De la gratitude : se réjouir de ce que nous avons reçu, de ce qui a été donné, que nous avons aimé et continuons d’aimer. Remercier donc – et se féliciter du passé qui se poursuit dans le présent, des rencontres amoureuses, amicales, éducatives, professionnelles ou de fiction qui ont fait de nous ce que nous sommes aujourd’hui…

Du courage : affronter les difficultés, surmonter la souffrance ou la fatigue, vaincre les plaintes ou la paresse – faire face. Sans lui rien n’advient, ni conquêtes, ni défaites, ni succès – rien…

De la simplicité : ne pas s’efforcer d’être un autre pour justement mieux penser aux autres, s’oublier soi pour être soi, parler et agir avec naturel, sans faux semblant ni calcul, vivre sans prétention ni suffisance, dans la douceur, le naturel…

De l’humour : se dépêcher de rire plutôt que de pleurer, tenir le tragique (la maladie, la mort, le mensonge, la méchanceté…) à distance, croire en peu de choses à commencer par soi, ajouter de la joie, du rire, de la légèreté à notre « insoutenable légèreté »…

De l’amour… allons, nous savons tous ce que c’est, l’amour, c’est à peu près TOUT et c’est bien davantage, c’est à la fois la plus belle des énergies et la plus complète des vertus. alors nous vous en souhaitons plein, encore et toujours, à donner et recevoir placé sous le sapin par le Père Noël ! …

 

Très belles fêtes ! Joyeux Noël !

 

l’avenir, c’est mieux après

l’avenir, c’est mieux après

 

Les films sur la Mafia ou Casa Nostra se terminent toujours comme les histoires d’amour des Rita Mitsouko : mal.

Des mafieux repentis, recrutés en tant qu’informateurs, sont placés comme témoins sous protection. Ils passent d’une ville à une autre, d’un meublé à une bicoque, perdus dans des quartiers dont ils ne connaitront jamais les habitants.

Ce n’est pas le meilleur job de leur vie. Ils mangent des nouilles avec du ketchup, boivent du Coca à la bouteille, regardent des matchs de base-ball en maillot de corps. Ils se cognent aux murs, à leur passé, à tout ce qui était mieux avant. Ainsi de Tommaso Buscetta dans le Traitre et de Henry Hill dans les Affranchis.  Dans leur cas, rien n’est plus vrai : c’était mieux avant. Entre deux exécutions et trois extorsions, ils vivaient de fêtes, de fastes, de femmes, de frasques et de plaisirs. En va-t-il de même des cheminots, des traminots, des conducteurs de métro ou de train en grève depuis le 5 décembre ? C’était mieux avant : vraiment ?

Nombreux sont les candidats que nous rencontrons qui nous font part de leur désarroi d’aujourd’hui et de leur peur de demain. Beaucoup des doutes du présent se fixent à la fois sur un « c’était mieux avant » (ce qui n’est pas forcément vrai) et sur un « ce sera moins bien demain », (ce qui reste à démontrer).

La nostalgie, c’est étymologiquement, le « mal du pays » – littéralement : « le mal du retour ». Dans les faits, c’est devenu le « manque du passé » dans ce qu’il était et ce qu’il avait supposément de mieux. Dans les peurs actuelles, il y a en réalité une forme d’in-espérance qui serait « un non manque de l’avenir » et « la peur de ce qui sera ».

De tout temps, l’homme a manqué de ce qu’il a perdu et de ce qu’il n’a pas connu, pu ou voulu connaître. Contre l’in-espérance et le regret, relisons Marcel Proust et le Temps Retrouvé, restons curieux et confiants : l’avenir, c’est toujours mieux après…