Pour la modestie, je ne crains personne.

 

On connaît le mot. S’il est d’Erik Satie, son service après-vente, vif et spirituel, a été assuré des années durant par Jean d’Ormesson. C’est un bel oxymore, un habile paradoxe : qui se vante de modestie ne prouve-t-il pas qu’il en manque ? L’entretien de recrutement présente aussi un moment paradoxal. Pour obtenir le poste convoité, un candidat (F/H) doit expliquer au recruteur (F/H) pourquoi il est le meilleur. Il voudrait être acheté – mais il doit commencer par se vendre. Il voudrait écouter – mais il lui faut d’abord parler. Il voudrait se passer des autres – mais il s’agit avant tout de les surpasser. Certains y réussissent mieux que d’autres. C’est autant une question de tempérament que de préparation. Autant une affaire d’expérience que de compétences. C’est aussi une question de motivation : elle n’est pas tout mais elle fait presque tout. Elle donne un objectif, un cap, un but ; elle apporte du nerf, de l’intention, de l’intensité.

Mais revenons à notre sujet : parler de soi. Pour un recruteur, que rebutent la forfanterie et les fanfaronnades, la différence s’établira entre le « je » du candidat qui déroule son parcours et détaille ses compétences et le « moi je » du candidat qui vante son parcours et s’invente ses compétences. L’égo (« moi je » en latin), c’est moins le sujet que « je » suis que celui que « moi je » voudrais être. Entre les deux, il y a « mon cher petit moi » et son lot d’illusions, d’arrangements et de mensonges (qu’on voit souvent éclore en simultané sur le CV). Au lieu de se vendre, certains se vantent et partant s’inventent. Au lieu d’écouter, ils se goûtent certes mais se coulent à proportion.

Pour les guérir de leurs émois du moi, on n’hésite pas à recommander aux égocentriques l’apprentissage de la vérité – qui est un chemin escarpé que facilite l’Assessment Center chez haxio  – et la lecture de Montaigne. L’ancien Maire de Bordeaux, auteur des Essais, n’avait-il pas fait graver sur les travées de sa librairie (où il passait l’essentiel de ses jours) 57 sentences tirées de la Bible et des auteurs classiques ? Toutes, et les Essais à leur suite, rappellent que l’homme est ordinaire et imparfait, suffisant et insuffisant – telle celle-ci, de Pline : « il n’y a rien de certain que l’incertitude et rien de plus misérable et fier que l’homme ».

Accepter nos faiblesses nous rend plus forts. Reconnaître nos incapacités nous rend plus capables. Le scepticisme de Montaigne est la plus tonique source de vérité et d’humanité. Faites passer.