« Qu’est-ce qui fait de vous la ­personne que vous êtes aujour­d’hui ? ». C’est la question qu’aiment poser les journalistes aux politiques ou aux vedettes qu’ils interviewent. Quelles sont les ren­contres, les expériences, les entreprises qui nous ont constitués ? Comment mesurer l’influence de telle ou telle ­personne dans notre parcours, parents, collègues, professeurs ou supérieurs – et comment nous sommes-nous affranchis de leur tutelle pour devenir ce que nous sommes, enfin ? C’est une question que nous chasseurs brûlons de poser au moment où nous rencontrons un ou une candidate : nous ne le faisons pas. Seul nous intéresse le résultat, l’arrêt sur image, ce que les candidats sont aujourd’hui.

Pourtant, le plus souvent, lorsque nous entrons dans la salle où nous attend un ou une candidate, nous nous interrogeons sur le nombre exact de personnes que nous allons rencontrer. La salle sera-t-elle assez grande ? Y aura-t-il suffisamment de sièges ? De bouteilles d’eau sur la table basse ? D’espace pour échanger ? Car on l’oublie à force : les candidats ne sont jamais seuls en entretien. Ils viennent en bande… Selon le moment ou l’humeur, leur bande sera plus ou moins nombreuse, attentive ou discrète. Cette vérité est tue, ou prudemment escamotée, mais il est rassurant de savoir que les candidats convoquent durant l’heure et demie d’entretien des dizaines d’assistants, d’aides de camp, de totems. Qui sont-elles et ils, ces figures et ces aides, ces coachs et ces soutiens, que nous n’évoquerons pas, ou comme ça en passant l’air de rien, mais qui veillent farouchement à la qualité de leurs propos, à leurs manières d’être et de faire parce qu’ils les ont inspirés, nourris, construits, sculptés durant leur enfance, leurs études, leur parcours ?

Dans le magnifique, et poignant, Ghetto intérieur, Santiago Amigorena, s’interroge : « Qu’est-ce qui fait que parfois nous disons que nous sommes juifs, argentins, polonais, français, anglais, avocats, médecins, professeurs de tango ou joueurs de football ? Qu’est-ce qui fait que parfois nous parlons de nous-mêmes en étant certains que nous ne sommes qu’une seule chose, une chose simple, figée, immuable, une chose que nous pouvons connaître et définir par un seul mot ? »

Un entretien individuel est toujours un entretien collectif ; un entretien individuel n’est jamais le même ; nous ne sommes jamais seuls et nous ne sommes jamais complètement nous-mêmes…