Elena Ferrante, l’auteur de l’Amie prodigieuse, a rédigé pendant un an, de janvier 2018 à janvier 2019, une chronique hebdomadaire dans The Guardian. Ces textes font aujourd’hui l’objet d’un recueil, Chroniques du hasard.

La première chronique s’intitule Première fois ; la dernière, Dernière fois. La dernière est peu intéressante, la première est passionnante, la plupart le sont aussi.

Elena Ferrante, auteur célébré dont on ignore l’identité… et le sexe (en dépit des nombreuses enquêtes et spéculations des journalistes italiens), y explique qu’elle a dans une vie passée envisagé de rédiger une chronique de ses Premières fois. Elle y a renoncé après avoir échoué à retrouver le visage de son premier amour, le goût de ses baisers, qui il était et qui elle était, elle, quelle adolescente fiévreuse, emportée… inconnue…

« Ce que nous avons été à l’origine n’est qu’une vague tâche de couleur que nous contemplons depuis le rivage de ce que nous sommes devenues. »

Se souvient-on à l’âge d’Elena Ferrante, qui a sans doute dépassé les cinquante ans, de nos premiers entretiens de recrutement ? Plus trop. Nous nous rappelons ceux qui nous ont marqués, parce que nous avons obtenu le poste convoité ou ceux où nous avons échoué, d’un souffle, d’un rien, sans que le chasseur ou l’employeur nous donne une explication qui nous satisfasse, parce qu’il n’y en avait pas au fond, c’était une histoire de pile ou face, nous étions pile, c’est tombé face.

On peut toutefois ne pas être d’accord avec Elena Ferrante sur l’impossibilité – et l’inutilité – de ramener à soi les instants du passé. Je crois que nos premiers entretiens auront servi ceux qui ont suivi, que nous apprenons de nos échecs comme de nos réussites, que nous nous découvrons et nous améliorons sans cesse, au fil des entretiens, comme un pianiste qui fait ses gammes, un demi-fondeur ses tours de piste. En entretien, dans nos emplois et dans nos vies, nous finissons par être nous-mêmes, autres que ce que nous fûmes, c’est-à-dire les mêmes mais différents, enrichis, alignés – nous à jamais en quelque sorte…

 

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